Vous êtes chez vous, confortablement installé devant le foyer après une dure journée de labeur à l’usine poisseuse qui sent la mort, de l’autre côté de la rue. Une bagarre éclate, dans la ville voisine, entre deux individus. On frappe à votre porte. Des gens importants, mandatés par le gouvernement, vous sommes d’intervenir dans ladite bagarre. Si vous ne le faites pas, vous serez emprisonné. Deux choix s’offrent à vous : accompagner les envoyés gouvernementaux et vous engager dans la bagarre à votre tour, ou bien fuir, le plus loin possible, afin qu’on ne vous retrouve pas.

Bernard a choisit la première option. Il le regrette amèrement aujourd’hui, en ce 29 mai 1943. Avec quelques centaines de ses semblables, des canadiens français comme lui, il se trouve sur les Îles Aléoutiennes, en plein Pacifique nord. La guerre fait ici rage entre Japonais et Américains. Des combats violents, inhumains, forçant parfois les soldats à laisser tomber les armes pour étrangler l’adversaire, sont choses fréquentes. Bernard est loin de chez lui, de son ancienne vie qu’il trouvait si moche et dure. Il se souvient.

1939, le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King promet au Québec qu’il n’aura jamais recours à la conscription pour le recrutement des soldats devant servir outre-mer lors de la nouvelle guerre mondiale. En effet, les canadiens français, contrairement aux autres, ne veulent pas participer à l’effort de guerre. Ils ne sont pas une nation guerrière et n’ont rien à voir là-dedans. Cependant, la promesse du Premier-Ministre ne tient pas. Il va même jusqu’à organiser un plébiscite à travers le Canada, demandant au peuple de le délier de ses engagements. Bernard se souvient avoir lutté, avec des amis, pour que le Non remporte. Rien à faire. Tout étaient mis en œuvre pour que la conscription soit de nouveau permise, allant même jusqu’à la censure des dissidents.

Lorsque les résultats du vote tombent, les divergences du peuple canadien sont évidentes. 90% des francophones ont votés non à la demande fédérale, pourtant le Oui remporte à 65%. C’est à ce moment là, en 1942, que la mode du mariage et de l’index coupé redevint populaire, comme elle l’avait été au cours de la Première Guerre mondiale. Seulement, Bernard avait décidé d’attendre, simplement, espérant que son pays ne ferait pas appel à ses services. Un an plus tard, du haut de ses 19 ans, il priait pour sa survie sur une île perdue qu’il ne connaissait pas. Les Jap’s attaquaient, massivement, selon leur méthode si dévastatrice, le camp de base américain. La guerre était venu le chercher dans son foyer, et le forçait maintenant à tuer des gens comme lui.

Bernard espérait seulement revoir un jour sa famille, sa future épouse, et son anglais de patron. Il était un conscrit, parmi tant d’autres, dans ce conflit mondial si abominable…