J'étais tranquillement assis dans mon canapé ce soir là, sirotant une bière devant la télévision en profitant de ce moment de calme quotidien que je n'aurais sacrifié pour rien au monde, quand mon téléphone sonna. Tout en ronchonnant, je le laissai sonner dans le vide, bien décidé à ne pas y répondre à cette heure-ci, craignant que ce soit encore mon patron qui m'appelle pour me demander de venir en urgence régler un soucis informatique. Je n'étais pas d'astreinte, donc je n'avais aucune obligation de répondre. Après tout, j'aurais très bien pu être au restaurant, en boite de nuit, ou encore chez une femme que j'y aurais rencontré ! Quelle idée d'appeler à cette heure !
Une deuxième sonnerie retentit et je sentis déjà un mal de crâne arriver. En soupirant, je regardai la demi-douzaine de canettes de bières vides que j'avais allignées sur la table de salon entre moi et la télévision. Enfin, quand je dis une demi douzaine... je n'ai jamais été très doué pour les maths, et dans ce cas précis, je préférais considérer qu'il n'y en avait qu'une demi-douzaine.
Troisième sonnerie. Mais quand donc ce foutu répondeur allait-il prendre la relève ?! Le cri du téléphone résonnait dans mon crâne, et je me retins de lancer ma canette à moitié vide vers l'horrible appareil. J'entendis alors le bruit significatif du lancement du répondeur, et je l'accueillis comme une libération. Pourtant, la voix que j'entendis alors retentir me fit grimacer...

"Samir, j'ai réussi à décoder le manuscrit. J'y ai découvert l'existance d'un groupe qui doit être au courant de tout depuis le début. Les pages manquantes permettent de tout décoder. Elles ont été arrachées volontairement".

C'était la voix de mon père, cet homme que je ne souhaitais plus revoir, auquel je n'avais plus adressé la parole depuis la mort de ma mère. Ce fou l'avait laissée souffrir seule à cause de sa foutu obsession pour un bouquin. Fasciné par cet étrange ouvrage, le manuscrit de Voynich, il ne jurait plus que par lui, persuadé qu'il parviendrait à le décrypter, à réussir là où tant de gens avait échoué avant lui. Sa fascination l'avait poussé jusqu'à organiser un voyage à Prague, alors que ma mère suivait un traitement pour soigner son cancer. Je l'avais supplié de rester au moins jusqu'à ce qu'elle guérisse, mais il était persuadé qu'il trouverait à Prague des éléments importants pour son travail, et il ne voulait en aucun cas perdre du temps. Trois jours après son embarquement à bord de l'avion, ma mère avait fait une rechute, et deux semaines plus tard, elle décédait, alors que lui s'amusait à faire du tourisme en République Tchèque.
Je n'avais pas revu mon père depuis. Il avait bien tenté de me contacter plusieurs fois, mais il avait fini par abandonner en voyant que ses efforts ne changeraient rien. Pour moi, celui qui était mon père avait disparu, laissant sa place à une personne que je ne connaissais pas, pour qui rien n'avait d'importance à part ce foutu manuscrit.

Alors pourquoi donc me rappelait-il ce soir là ? Pour me dire qu'il avait découvert ce qu'il cherchait depuis tout ce temps ? Qu'est-ce que j'en avais à foutre ? Son fichu bouquin avait réduit notre famille à néant, il pouvait bien se garder son secret pour lui.
Mais quelque chose vint alors troubler mon esprit. Mon père venait à peine de prononcer ces quelques mots, qu'il poussa un hurlement avant que la communication ne soit coupée.

Me redressant dans mon canapé, je restait bêtement immobile un moment, cherchant à savoir si je n'avais pas rêvé, si l'alcool ne m'avait pas donné des halucinations, mais tout semblait réel. Je me mis alors debout et je me dirigeais vers le téléphone. Le répondeur indiquait bien qu'il y avait un message. Je rembobinai la bande pour réécouter le message, et je réentendis bien ces phrases suivies par ce cri effrayé.
En une gorgée, je finis ma bière, avant d'enfiler ma veste, de glisser la cassette de mon répondeur dans ma poche, et de quitter mon appartement pour filer au commissariat le plus proche. J'espérais que ce que j'allais leur apporter leur permettrait de lancer une enquête, ce qui m'éviterait d'avoir à chercher moi-même après ce père que j'avais décidé de ne plus revoir il y a des années. J'allais être déçu...

(Plus d'infos sur le manuscrit de Voynich à l'adresse suivante : http://fr.wikipedia.org/wiki/Manuscrit_de_Voynich)