"- De vous à moi Monsieur, vous êtes un trou du cul. Sortez de mon établissement, et que je ne vous y revoie plus !  

Et voilà : une fois de plus, Rufus Kazmell (Barry Huang) vient de se faire jeter d'un restaurant et une fois de plus, il est bourré - à insulter tout le monde, les gens qui passent, les chiens qui lui aboient dessus, les voitures même...  

Sur cette portion de route nationale, il s'était arrêté dans ce routier en fin de journée, histoire de se remettre d'aplomb. La liste de ses rendez-vous est vide, son chiffre d'affaires en berne, son patron menace de le licencier, sa femme de divorcer et le voilà proscrit d'un restau de plus. Il sera bientôt plus simple d'énumérer la liste des établissements qui ne l'ont pas encore viré que l'inverse.  

Cette semaine, il doit prospecter autour de Bouraing les Valence, pas très loin de Ragon le Mesnil. P*tain, avec des noms pareils, il y a encore des gens qui vivent dans ses trous ?!! Enfin... Ce n'est pas dans le Centre qu'il fera fortune : son produit est une camelote fabriquée en Chine mais "assemblée en C.E.E." (autant dire en Roumanie), il a connu des jours meilleurs (il n'a plus son physique "VRP dents blanches" d'antan, l'ami), sa voiture même menace de "tourner du moteur" et la quarantaine grisonnante, son démon de Midi le rattrape quotidiennement.  

Et Bouraing les Valence. Mortifère : 17 000 âmes, même pas une sous-Préfecture. 25% de chômage, un cinéma, 2 discothèques et un vague club "échangiste" : voici les données essentielles recueillies sur le lieu dans G00gl3. Les données intéressantes pour lui. 25% de chomedu, ça en fait du mari à la maison - difficile pour lui de trouver de quoi réchauffer sa couenne.  

En cette basse-saison touristique, il est parti pour squatter le Formule1 local, ou bien essayer de se reposer dans sa caisse, comme il en a désormais l'habitude - histoire de s'économiser l'audition pénible des couples ahanant à côté de sa chambre.  

C'est ainsi que d'un commun accord avec lui-même, il décide de bouder l'hôtellerie classique et de se trouver un endroit tranquille du côté d'une Zone Industrielle indiquée sur son GPS - il doit prospecter dans le coin demain alors autant être sur place. A l'heure de son arrivée de toute façon, difficile de trouver un rade d'ouvert histoire de partager quelque dernier verre avec un compagnon d'infortune... Ce sera donc la ZI. On est en mars, la semaine promet d'être douloureusement longue.  

Et là, sur l'axe principal de la Zone, sous un des réverbères encore allumés, il y a cette vision. Cette jeune fille (Francesca De La Boulaye).  

Plus si jeune que ça en fait... 25-30 ans à tout casser, fine comme une tige, une belle chevelure qui lui recouvre la moitié du visage, une doudoune protégeant ce qui peut l'être de sa dignité, minijupe en skaï, talons hauts, air hagard, grelottante de froid sous le vent et la fine pluie qui commence à tomber. Elle irait bien s'abriter sous le porche de l'arrêt de bus proche, mais ne serait plus visible par ... d'éventuels clients.  

Allons bon. Cette fille a l'air aussi paumée que lui-même.  

Allez, se dit-il, il n'aurait rien non plus contre un peu de chaleur humaine...  

Il s'arrête donc à son niveau. La fait monter.  

"- Toi vouloir amour ou juste moi s..."  

Une fille de l'Est. L'air complètement résigné. Désespérée qu'on lui ait pris son visa, la carte d'identité. Une fille qui n'est plus rien, que ses parents doivent croire morte - il a vu ça un jour sur TF1, la traite des prostituées des ex-pays du Bloc soviétique qui deviennent de la chair qu'on vend au kilo. Il ne la laisse même pas finir sa phrase...  

"- Oui, j'ai besoin d'amour. De beaucoup d'amour. Comment tu t'appelles ?"  

(Script original)