Il ne voyait, autour de lui, qu’un bleu hallucinatoire. Il se situait partout et nulle part. Ses attaches, au monde et à lui-même, étaient rompues. Il errait, déboussolé, paniqué, mais libre. Il le croyait. Il voulait y croire. Il fallait y croire. Seul ce sentiment suprême de liberté totale lui permettrait d’atteindre son but. S’il s’en souvenait, de ce but.  

L’obscure. L’obscure sensation de flotter, de reposer, d’être lancé à toute allure dans l’infini néant. Bleu. Qui l’aurait cru, que la liberté était, finalement rien d’autre, que bleu? C’était inimaginable. Et il ne l’imaginait pas, en effet. Il le voyait de ses propres… yeux? Comment savoir? Comment percevoir?  

Larry.  

Larry…? Non ! Déjà ! Quoi ? Comment ?  

… … …  

Quelque part en Amérique-du-Nord-Uni, le 4 mai 2047.  

Larry O’Neill, sur le blanc fauteuil, reprend tranquillement son esprit. L’éclairage tamisé s’anime, oscille entre un bleu étrange et la luminosité blanche standard des laboratoires O’Neill & Goldsmith. Un courant d’air venu de nulle part vient troubler l’atmosphère soigneusement contrôlé de la salle Es-124. De l’autre côté de l’étroite fenêtre d’observation, Mary Goldsmith retient son souffle. Elle sait que toute perturbation non-planifiée par le logiciel EsPrit risque d’anéantir les chances de Larry de revenir en ce monde entier. C’est la première fois qu’ils testent le projet. Le projet fou de la liberté.  

Ce que Larry vient de vivre, ce qu’il pourra raconter en détail à Mary si tout va bien, c’est vingt-quatre secondes de liberté. De liberté telle qu’aucun être humain vivant n’a jamais vécu dans l’histoire. Aucun.  

Quelque part en Union européenne, le 1er mai 2047.  

SpiRit est désormais pleinement opérationnel. Valéry Holstein a fait le premier test hier, avec succès. Elle se trouve à l’heure actuelle en salle de reconditionnement. Une équipe spécialisée en tout genre est sur son cas, lui administrant une batterie de test par l’intermédiaire du système de reprise de contact SpiR01, conçut par le docteur Vitaly Bertrand.  

Aujourd’hui, c’est au tour de Vitaly de goûter à la liberté. Il manifeste une certaine anxiété à l’idée d’affronter ce monde hallucinatoire teinté de bleu, mais il est prêt à tout pour la gloire du programme SpiRit, le premier à offrir la possibilité à l’homme de s’évader quelque instant dans un monde sans la moindre contrainte. Qui aurait cru à cela trente ans plus tôt? Qui aurait cru qu’un tel programme pouvait voir le jour en seulement sept ans? Et qui aurait cru, surtout, que des scientifiques se pencheraient sur la question de la liberté spirituelle parfaite plutôt que sur les problèmes environnementaux, dans les années 2040? Les projections étaient pourtant si pessimistes.  

C’est l’heure pour Vitaly. Le blanc fauteuil l’attend. Il y prend place sous le regard fasciné d’une équipe technique que lui-même voit à peine. Il a déjà l’impression d’être en plein brouillard. Peut-être est-ce simplement des larmes, dans ses yeux. Quelques minutes passent, le temps de stabiliser les conditions de la salle SpiR102. Un décompte retentit sourdement. Le logiciel SpiRit se met en marche. Vitaly retient son souffle, les poumons pleins d’oxygène. C’est contre le protocole, mais le docteur l’a oublié. Il est au bord du gouffre. Et il a peur.  

Quelque part en Amérique-du-Nord-Uni, le 5 mai 2047.  

Quelque chose ne s’est pas passé comme prévu. Mary Goldsmith est en état de choc, comme tout le reste du personnel du projet EsPrit. La situation est probablement grave mais personne n’ose agir, de peur d’empirer le phénomène, de peur de l’étendre à tout le laboratoire. Dans la salle Es-124, où sur le blanc fauteuil repose toujours le corps de Larry O’Neill, le bleu a prit le contrôle. Ça c’est fait soudainement, et apparemment, le logiciel EsPrit n’est pas en cause. Il l’affirme, tout du moins. Selon lui, il y aurait eu perturbation interne, imprévisible. Une faille dans le monde libre. Une présence, peut-être. Inexplicable.  

Mary Goldsmith ne veut croire en rien. Elle veut voir.  

L’heure est à l’évacuation et au cloisonnement du laboratoire.  

Pas question pour Mary de laisser son homme vivre libre pour toujours…  

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Larry O’Neill – Barclay Martinez  

Mary Goldsmith – Anya Sbrizzi  

Vitaly Bertrand – Colin Hartnett  

Valéry Holstein – Elaine Richardson  

Un scénario de Jérémie Walken, en collaboration avec Le Vieux Sage, dans le cadre du concours "Bleu".