"- Voulez-vous connaître la Vérité ?  

- Oui, la VÉRITÉ !!  

- La Vérité de la Bible...  

- ... et de notre Seigneur Jésus Christ ?!!!?"  

Richard "Dick" Marquand (Ronald De La Boulaye) est à la recherche de la vérité - peut-être pas de celle des autres, la sienne tout du moins. Tous les jours, il se lève à 11h00 du matin parce qu'il s'est couché très tard la veille - et une fois sur deux, un duo de prêcheurs, Témoins de Jéhovah ou mormons vient interrompre son sommeil. Dick Marquand est donc dans une sale humeur quand il entr'ouvre la porte de son petit studio situé au coeur de Minneapolis.  

"- La Vérité, oui - la VÉRITÉ !!!"  

Pas peigné, pas rasé, en sous-vêtements crasseux, les yeux mi-clos et la bedaine apparente, Dick observe les individus qui viennent de le priver de son sommeil. Il les connaît, il les a vus il y a quelques semaines de ça distribuer des tracts devant le fast-food dans lequel il travaille : un petit gars d'une vingtaine d'années à la voix désagréablement aigüe, probablement en "formation" et une rombière entre deux âges sortie d'un livre d'images pieuses et au parfum entêtant. D'ailleurs, quelle heure est-il ? Il n'écoute même pas ce que ses intercoluteurs ont à lui révéler - c'est probablement super-important mais Dick a faim.  

Sans un mot ni un regard, il claque la porte au nez du duo. En silence, ces derniers passent à l'appartement voisin. Il peut entendre la sonnette (dring) et des bribes de paroles (vérité... vérité) puis plus rien. Se grattant nonchalamment l'entrejambe, il consulte le courrier de la veille, pas encore ouvert.  

Oh-ho : celui-ci a un beau logo de cabinet d'avocats sur son enveloppe. C'est son ex qui doit réclamer sa pension alimentaire - Dick est en retard ce mois-ci, pas vraiment sa faute : son patron a tardé pour lui régler ses journées. Des fois, il repense à cette garce qui lui a fait un môme dans le dos - raaaah, éviter d'y penser, il va encore avoir mal à la tête. Il consulte son portable : 09h45, vendredi, pas de message. Il grommelle quelque chose à l'adresse du vide et s'en va traîner ses guêtres du côté du réfrigérateur.  

Petit-déjeuner. Douche. Habits : Dick a le temps, il ne prend son service qu'à 15h30. Il s'en va donc promener...  

... 16h10 - il est à la bourre et arrive au Chicken Deli avec trois bons quarts d'heure de retard : qu'est-ce qu'il a bien pu faire de sa journée pour en arriver là ?  

Rien en fait. Ou pas grand'chose. Glandé dans le square voisin, discuté avec son ami Bruce qui tient une superette entre Kennedy et Bridgeford av., reluqué les bonnasses branchées qui sortent du nouveau centre commercial (Gucci-Cartier-Apple-Prada ont leurs bases là-bas), lu des comics chez un pote pas là (mais bon, il connait la planque de la clé) et vidé son stock de bières. La bière : c'est peut-être la raison pour laquelle il s'est endormi sur des épisodes de All-Star Superman.  

Dans son rêve, il était Superdick, emballait les greluches, récupérait le chat du voisin perché comme un con dans l'arbre, atomisait sa bonne femme (et son nouveau mec en même temps) et rendait "truth, justice and the American way"... version Dick.  

Alors qu'il raconte ses songes à sa collègue Ivy (Estelle Reviglio) en cuisine, leur manager s'approche, lui pose une main caressante sur l'épaule :  

"- Cet aprem', c'est toi qui te transforme en Superpoulet ! Comme ça a l'air de te plaire de te faire passer pour un Supercon - va donc prendre le costume feignasse, et distribue-moi ces tracts au trôt !"  

Le costume.  

D'un jaune sale. Une étuve au sein de laquelle on peut à peine respirer. Un rôle de composition : parler avec une voix de castrat en faisant des "cot-cot" sonores et en posant pour la photo avec des sales mômes qui vous mettent des coups de pied aux tibias. L'enfer de Disneyland réduit à la portion congrue d'un resto routier en banlieue d'une ville qui perd ses emplois, sa jeunesse et ses espoirs. "Cot-cot, venez au Chicken Deli, mes copains et moi, on est - cot-cot - délicieux : les meilleurs poulets de la région !". Dick Marquand, 43 ans au compteur, dans la peau d'un poulet. C'est vrai que ça aurait pu être pire : il aurait pu être trader.  

22h30. On appelle ça une sanction, d'habitude il est en salle ou en cuisine à cette heure. Dick est toujours dans son costume - il a du perdre trois litres de sueur, ça pue là-dedans, il en a - cot-cot - marre et ne voit pas la fin de journée arriver - le soleil a au moins disparu, c'est déjà ça. Il est parti à 02h00 du mat' hier - aujourd'hui, le manager l'a dans le nez (satanée bière - demain, il arrête) : il est bon pour la fermeture.  

De temps à autre, Ivy vient lui filer de quoi boire - grosse pression pour elle aussi, c'est la soeur du manager - demi-soeur, il n'ont pas la même mère, et il lui botte le train trop souvent à son goût. Une chouette fille, Ivy : 28 ans, sans enfant, mariée à un routier sympa mais jamais là, elle aurait voulu être actrice ou vétérinaire dans sa jeunesse. A défaut, elle bosse avec sa famille - c'est déjà ça...  

23h30. A peu près au moment où la seconde partie de soirée va démarrer (noctambules, sorties de cinéma, zonards, boîtes de nuit), une vieille Ford Falcon déboule sur le petit parking presque vide du Deli. En sort un jeune couple d'amoureux (Charles Flanagan et Lucy Camacho) qui se précipite vers l'entrée, bras dessus bras dessous : elle rit à gorge déployée mais trop fort, lui salue tout le monde avec des gestes brusques et rapides - il est nerveux. Ouais, ça sert de regarder les conneries policières à la télévision - ça fait de vous un profiler à la petite semaine. Il suit le couple du regard, distribue ses derniers tracts et s'en va - enfin - prendre une pause.  

"- Cot-cot le poulet est de ret..."  

Il s'arrête, interdit devant la scène. Le couple qui vient de rentrer braque les restaurateurs. La femme menace Ivy et son mec le manager. Immédiatement, la nana détourne son attention de la jeune femme et lui pointe le canon de son revolver sur le bec.  

"- Cot ?"  

Minuit. La Ford Falcon fonce sur la highway. Presqu'une demi-heure qu'ils sont sortis de la ville. Ivy est terrorisée, Dick n'a toujours pas enlevé son casque de poulet - à leur côtés, un complice ramassé peu de temps après les tient en joue - il bave et a des yeux injectés de sang. Il répète machinalement ce qu'il entend. Devant eux, le couple à l'origine du méfait se dispute : pourquoi avoir pris des otages ? pourquoi ne pas avoir mis des cagoules ? pourquoi avoir pris cette dose de speed avant d'attaquer le déli ? qu'est-ce qu'ils vont faire de leur butin - et surtout de leurs prisonniers ?  

Richard "Dick" Marquand est à la recherche de la vérité. Sa vérité, en ce moment, est qu'il est impliqué dans un sacré bordel.  

(Script original - filmé dans les studios Sartana)