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MMP présente
Nous Vieillirons Ensemble

Le film venait de se terminer sur Canal GM. Encore une sacrée vingt-dieu de production d'action violente. Tout ça, c'était destiné aux jeunes - lui ne comprenait plus la moitié des scripts. Quant aux montages, n'en parlons même pas : épileptiques, saccadés avec un plan toutes les secondes et des flashs partout - de quoi vous donner le tournis. Il avait lu quelque part qu'un réalisateur du siècle dernier (John Boorman qu'il s'appelait) avait appelé ça de la "violence cinématographique". Fallait quand même être un peu zinzin pour apprécier ça - enfin, ça ne lui était plus destiné.  

 

Lukas Mandorff (Manfred Ribic), 65 ans, retraité de chez Mittal-Arcelor avant qu'ils ne ferment leurs usines (il a manqué de peu qu'on le fiche à la porte aux alentours de 2009 à l'époque de "la" crise) est heureux et se contente de peu. Un peu de tranquillité après un demi-siècle de dur labeur à bosser pour des fainéants et à se faire traiter de "faciiiste" par des petits cons qui n'ont jamais rien vécus - ça ne le regarde plus. A présent, il "cocoonne", tranquille, avec sa femme Magda dans leur petite maison qu'ils ont récemment fini de payer. Entre ces quatre murs, ils avaient éduqué leurs deux fils, partis travailler à l'étranger depuis. Dans leur petit lotissement, on vieillissait paisiblement, jamais un coup de klaxon de trop, des voisins tranquilles.  

 

D'ailleurs, en parlant de voisinage, ils avaient eu à déplorer le décès impromptu de Mme Esperandieu il y a trois mois - une gentille veuve partie faire la nouba avec les anges à 70 ans à peine. Pouf comme ça, il n'avait fallu qu'un accident vasculaire cérébral et 2 minutes. C'est l'infirmière qui l'avait trouvée dans son lit - et c'est tout. De la famille proche s'était installée récemment. Un couple de jeunes parents avec leur fillette, Sandra (Jessica Bremner) qu'elle s'appelait. Il espérait juste qu'ils ne feraient pas trop de bruit.  

Là, Lukas s'en va dormir. Il revêt son pyjama dans la salle de bains et va rejoindre Magda dans la chambre. Elle doit déjà ronfler à cette heure, c'te vieille carne : elle n'a jamais été trop cinéma, Magda - plutôt séries télé. C'était important d'avoir des goûts différents dans un couple. Pas trop différents, mais pas identiques. Ca permettait de parler.  

Magda était bien là. Endormie et encore silencieuse, sa lumière de chevet toujours allumée - comme d'habitude. Il l'embrassa tendrement sur le front avant d'éteindre et s'endormir comme une masse.  

 

*****  

 

Sandra vient de rentrer chez les grands, en sixième. A son âge, on a beaucoup de choses à penser. Pour Sandra, sa priorité du moment, c'est de décrocher l'autorisation d'aller à l'anniversaire de Kevin. Et d'avoir son portable à elle. Pas l'ancien portable de sa mère, tout moche et vieux - non : d'avoir son portable.  

Là où ils habitent désormais, y'a que des vieux. Les vieux, non seulement c'est naturellement pas rigolo, mais là on dirait qu'ils sortent tous de la maison de retraite. D'ailleurs son père à Sandra, il avait bien raison quand il disait que grand'mère, elle aurait du aller en institution spécialisée - comme ça, il ne lui serait pas arrivé son accident et Sandra aurait toujours quelqu'un avec qui partager ses secrets de grande petite fille.  

 

En plus, elle avait entendu sa maman parler avec une dame qui habitait pas loin d'ici : leur voisin direct (le leur, pas celui de la dame), un retraité ("dit papa, c'est quoi la retraite ?"), avait perdu sa femme aussi. Décidément, c'était la saison. Elle s'était endormie et c'en était terminé. Sandra ne croyait plus au Père Noël et pas plus au Bon Dieu - question d'éducation - mais elle avait cette rare capacité des enfants de cet âge à se mettre dans la peau d'un autre. Elle imaginait donc que, quand même, ça avait du être dur pour ce monsieur. 40 années qu'ils étaient mariés. Ca signifiait que ces gens-là avaient vécu ensemble 4 fois plus longtemps qu'elle-même avait vécu ?!!? Woah. Elle se demandait si elle arriverait à faire la même chose. A cette question, son père avait répondu avec un sourire qu'un jour "elle voudrait vivre 1000 ans" avec quelqu'un. Il lui suffisait de grandir parait-il. Encore une ruse parentale pour que vous mangiez votre soupe - berk !  

 

Sandra n'avait jamais vu ce monsieur depuis leur arrivée. Il vivait confiné, cloîtré dans sa petite (vraiment très petite) maison, les volets toujours fermés. De temps à autre, une voisine qui le connaissait bien venait prendre des nouvelles - pour se faire finalement rabrouer. Elle avait arrêté. C'est la mère de Sandra qui, inquiète de cette situation, avait souhaité faire venir une assistante sociale - ou les enfants du monsieur. En vain.  

Le week-end suivant pourtant...  

 

*****  

 

Sandra et son cousin jouaient sur la route. C'était interdit, mais en ce dimanche de férié, il n'y avait personne et les jardins étaient vraiment trop petits. Dans leur frénésie ludique, les gamins devait envoyer le ballon un peu trop loin. Ce dernier percuta un des volets de la maison de M. Mandorff. C'était pas malin : c'était le seul à avoir une vraie clôture - impossible d'aller chercher l'objet en rentrant discrètement dans le jardin. Il fallait sonner. Le cousin prit ses jambes à son cou (les garçons, c'est pas courageux) tandis que Sandra appuyait fort sur le bouton (les vieux, c'est sourd). Pas de réponse. Une fois. Deux fois. Trois fois. La quatrième fois, elle insista au moins une minute : c'est le ballon de Zidane de son papa, il l'avait eu avant l'an 2000 - une antiquité : déjà qu'ils jouaient avec, s'ils le perdaient houlàlà - ça allait être la fête à son matricule. Aucune réponse de l'intérieur. En désespoir, elle essaya d'ouvrir le portillon. Qui n'était pas fermé à clé.  

 

Elle aurait pu en rester, là : prendre le ballon, se carapater sans demander son reste. Mais - éducation oblige - elle avait souhaité prévenir le vieux monsieur qu'elle était entrée dans son jardin mais que non, les plants de roses n'avaient pas été abîmés. Elle toqua une fois, deux fois. Trois fois. A la quatrième elle allait essayer d'ouvrir la porte quand une silhouette se dessina par la fenêtre.  

M. Mandorff venait d'ouvrir les volets de la cuisine pour la première fois depuis que Magda était partie - combien de semaines, déjà ? Il ne l'aurait pas fait de lui-même s'il n'y avait eu cette sonnette et ce bruit infernal dehors. Une gamine, un ballon entre ses mains, se tenait sur le perron. Les gosses. La vie.  

 

Il grommela quelque chose à son attention. Sandra lui expliqua tout en détail (ballon - jardin - récupérer). Il n'eut pas à coeur de l'envoyer paître, fit un geste de la main et sortit raccompagner la gamine (histoire de fermer ce sacré vingt-dieu de portillon dont il faudrait qu'il change la serrure un jour). Avant de partir, elle se retourna une dernière fois pour lui décrocher le plus naturellement du monde :  

"- Monsieur, c'est vrai qu'on peut aimer quelqu'un 40 ans sans s'ennuyer ?"  

 

(Script original)

Scénario : (2 commentaires)
une série Z dramatique (Sortez les mouchoirs / Comédie) de Denny Cox

Manfred Ribic

Jessica Bremner
Sorti le 30 novembre 2013 (Semaine 465)
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